Acculé par la crise sanitaire, le Président de la République a été contraint d’affirmer que la santé ne pouvait être livrée aux lois du marché et de faire référence aux « Jours heureux » dessinés par le Conseil National de la Résistance au sortir de la seconde guerre mondiale. En l’état des discussions dans le cadre du Ségur, le gouvernement semble déjà tourner le dos à cette invocation.

Les Mutuelles de France réaffirment fermement que la santé n’est pas une marchandise. C’est l’engagement du mouvement mutualiste depuis toujours. Elles n’ont pas attendu la crise pour faire leur la démarche fondatrice de la Sécurité sociale : « de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins ».

Notre système de protection sociale solidaire est un investissement qui contribue au développement individuel et économique. Ce n’est pas un coût ; il s’agit d’un pot commun pour couvrir les aléas de la vie qui fait chaque jour la démonstration de son utilité et de son efficacité, particulièrement dans des contextes de crise. Pour faire face aux incertitudes croissantes de nos sociétés, cet investissement collectif et solidaire doit être renforcé en lui donnant les moyens de couvrir toute la population pour l’ensemble des risques.

Pour y parvenir, il faut à la fois garantir des droits pour tous, renforcer la prise en charge solidaire au plus haut niveau, augmenter et rendre plus juste le financement de la Sécurité sociale et enfin consolider le couple solidaire sécurité sociale/mutuelle.

Nos propositions pour une Protection sociale solidaire
A chacun selon ses besoins : pour une protection sociale solidaire universelle
  • Garantir des droits pour tous, en incluant l’ensemble des populations dans un droit commun du plus haut niveau, quelle que soit la situation socio-économique, l’état de santé ou le statut de la personne. Ces dernières années, les politiques publiques ont segmenté les réponses de manière accrue, cassant toujours plus le droit commun. La crise de la COVID-19 a particulièrement mis en lumière les conséquences de l’exclusion de notre système de protection sociale pour certaines populations, en raison des reculs dans l’universalité des droits. La solidarité doit reposer sur des dispositifs effectivement universels.

 

  • Accroître le périmètre de la Solidarité nationale sociale en prenant en charge la perte d’autonomie. Le reste à charge des familles est aujourd’hui de 6 milliards d’euros. La qualité de la prise en charge n’est pas digne d’une société moderne. Le vieillissement de la population et le triplement du nombre de personnes de plus de 85 ans d’ici 2050 exige une réponse solidaire et ambitieuse. Elle doit reposer essentiellement sur la solidarité nationale pour assurer l’universalité des réponses, à la fois pour le grand âge et le handicap .

 

  • Renforcer la prise en charge par la Sécurité sociale. La réduction des dépenses de la Sécurité sociale depuis 30 ans a contraint ses activités. Elle a contribué à ne pas prendre en compte la dimension préventive et a dégradé l’accès aux soins en augmentant le reste à charge sur les soins de ville comme à l’hôpital (forfait hospitalier, …). Cela est d’autant plus problématique que les dépassements d’honoraires et les franchises se sont développés au détriment des tarifs opposables.

 

  • Permettre à tous l’accès à une mutuelle en créant un dispositif unique, automatique et progressif selon les ressources. La multiplication et la superposition des dispositifs en complémentaire santé segmentent les populations, affaiblit la solidarité et génère du renoncement au droit. Ainsi, avec la mise en place de la nouvelle CSS, le taux de non-recours s’est encore accru. Le système actuel d’aides publiques pour l’accès à une complémentaire santé est injuste car principalement concentré sur les contrats collectifs du secteur privé et les plus précaires. Il est également inefficace dès lors que 3 millions de personnes sont toujours sans mutuelle, selon la DREES. Il faut une totale remise à plat pour s’orienter vers un système d’aide universelle déconnectée du statut de la personne.

De chacun selon ses moyens : pour un financement solidaire, juste et pérenne
  • Élargir l’assiette des cotisations sociales à la totalité des richesses. Le financement de la Sécurité sociale repose principalement sur les ménages. Cela conduit à un financement injuste qui ne se base plus sur la totalité de la richesse produite dans les entreprises. Ce sont pourtant près de 750 Mds d’€ qui pourraient contribuer à prendre en charge de façon collective les besoins et développer de nouvelles solidarités. La mise à contribution des revenus du capital des entreprises serait une évolution propre à prendre en compte la financiarisation de l’économie et l’autonomie des processus de production

 

  • Stopper les exonérations de cotisations et réaffirmer le principe de compensation par l’État. La politique de l’emploi repose fortement sur les exonérations de cotisations sociales pour réduire « le coût du travail ». Privée de recettes par des décisions de l’Etat, la Sécurité sociale s’est trouvée en déficit chronique. Ces derniers ont ensuite permis aux gouvernements successifs de justifier la réduction des remboursements de soins et l’investissement moindre dans le système de santé. Le budget de la Sécurité sociale est ainsi devenu un moyen, pour les gouvernements successifs de financer les politiques de l’État. Dans l’immédiat et a minima, l’État devrait compenser, à l’euro près, le manque à gagner de la Sécurité sociale, obligation dont le gouvernement s’est exonéré pleinement depuis 2019.

 

  • Transformer la CSG pour qu’elle soit progressive et mieux équilibrée entre le travail et le capital. La CSG est doublement injuste : elle pèse majoritairement sur les revenus des ménages en exonérant les entreprises ; il s’agit en outre de contributions non progressives pénalisant davantage les foyers les plus modestes. Afin de rétablir de la justice, il convient, d’une part, d’élargir son assiette afin de faire contribuer les revenus du capital des entreprises et d’autre part d’introduire une progressivité sur les taux de contribution.

 

  • Sanctuariser le budget de la Sécurité sociale. Au fil des années, le budget de la Sécurité Sociale et celui de l’État ont été rendus de moins en moins étanches. La suppression en 2019 de l’obligation de l’État de compenser les exonérations qu’il décide a été une étape supplémentaire. Cette confusion entre les budgets fragilise dangereusement la pérennité de notre système de protection sociale et de santé et en fait une variable d’ajustement du budget de l’État.

 

  • Augmenter les salaires et imposer l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ! Au-delà d’un accroissement du pouvoir d’achat, l’augmentation des salaires est un levier important pour financer la protection sociale. La seule égalité salariale femme-homme représenterait 62 Mds d’€ de ressources supplémentaires pour la Sécurité sociale.

 

  • Redonner des marges de redistribution aux mutuelles et sortir la complémentaire santé du secteur marchand compte tenu de la spécificité du risque santé. Les mutuelles, organismes à but non lucratif, ont pour objet de répondre aux besoins de santé de manière solidaire ; ne dégagent pas de profit et ne rémunèrent pas d’actionnaires. Les pratiques marchandes doivent être bannies du domaine de la santé. En toute logique, dès lors que la santé ne peut être considérée comme une marchandise, l’État doit supprimer toutes les taxes injustes qui pèsent sur elle. Les taxes sur les mutuelles représentent près de 2 mois de cotisation annuelle. Elles augmentent artificiellement le coût pour les ménages et freinent l’accès aux soins. Il faut également assouplir les obligations prudentielles qui astreignent les mutuelles à immobiliser une partie significative des cotisations au lieu de les utiliser pour financer le bien commun.

 

  • Revisiter complètement la démocratie sanitaire pour mieux assurer la prise en compte de l’ensemble des acteurs de santé et des patients et usagers du système de santé. Cette exigence doit se traduire à tous les niveaux territoriaux et permettre l’intégration de tous les acteurs. Cela devra s’appuyer sur une pédagogie renouvelée autour du fonctionnement de la Sécurité sociale, indispensable au renforcement de l’adhésion au système solidaire.