— Face aux annonces de sorties de vaccins contre la Covid-19, l’expérience acquise dans la lutte contre le Vih vous fait dire : « prudence et patience ». Pourquoi ?

Aurélien Beaucamp : « Aujourd’hui, les laboratoires pharmaceutiques sont dans une logique d’annonces. Nous n’avons aucune information sur la véracité, sur les autorisations de mise sur le marché… tout cela prend du temps. Il ne faut pas oublier le temps que prendra la production puis la distribution. Je crains qu’il y ait une logique de priorisation. Nous avons connu cela dans les annonces de traitements pour le Vih. Des traitements annoncés comme miracles et qui débouchaient sur… pas grand chose. Il ne faut pas croire que les labos sont des bons samaritains. Il y a la pression des marchés, et celle des pouvoirs publics pour trouver une solution rapide… »

Nicolas Souveton : « On redécouvre que le temps médical n’est pas celui des médias. Nous ne savons pas tout sur le virus, et il y a encore beaucoup à découvrir. Il est faux de penser que nous tenons une solution miracle pour qu’en mars prochain tout redémarre. Je crois qu’on se focalise beaucoup sur les éléments qui fonctionnent bien en communication. On parle beaucoup du vaccin et peu du traitement ; et si on a trouvé un vaccin, on ne l’a pas encore produit et encore moins distribué. Il faudra du temps. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe pour de nombreux médicament aujourd’hui. Ne serait-ce que celui du vaccin contre la grippe… »

 

— Vous voyez d’autres similitude avec la gestion publique de l’épidémie de la COVID-19 avec celle du Vih ?

Aurélien Beaucamp : « Les épidémies de Vih et de Covid-19 mettent les sociétés face à des dilemmes médicaux, politiques et sociétaux communs en termes de gestion de l’incertitude scientifique. Vis-à-vis de l’État, on est dans l’injonction, on a toujours été dans des campagnes de ce type. A l’époque, c’était « le Vih ne passera pas par moi ». Je ne parle même pas des campagnes contre la cigarette ou l’alcool. A aucun moment on ne parle de prévention et de réduction des risques. Le fait de culpabiliser les malades est une erreur. Vous savez, les mots ont leur importance. Sur des pathologies graves ou pas, ce sont toujours les mêmes populations qui sont les plus touchées. Les plus précaires. C’est un révélateur social : il s’agit des populations qui n’ont pas accès à la prévention, aux soins, à qui on dénie des droits. »

Nicolas Souveton : « Sur la réduction des risques, on reste arque-boutés sur le mythe du risque 0. Cette notion n’existe pas ; les pouvoirs publics donnent le sentiment que si on respecte les gestes barrières le virus ne passe jamais, ce qui n’est pas vrai. D’autant plus qu’on va jusqu’à la coercition avec des amendes à 135 euros. Sans prendre le temps d’échanger sur le vaccins, on parle déjà de le rendre obligatoire… La défiance qui monte aujourd’hui dans la société va être difficile à déconstruire. Et l’uniformisation du discours fait qu’on a oublié de penser aux populations les moins sensibles aux messages diffusés. C’est un vrai sujet qu’on ne peut pas ne pas aborder. »

 

— Et demain ?

Aurélien Beaucamp : « Attention, la Covid-19 est en train de tout emboliser et de tout emporter, il n’y a plus de place pour autre chose. Aujourd’hui, on se demande tous comment on va revenir à un semblant de normalité. Il ne faut pas oublier toutes les pathologies considérées moins urgentes dont les opérations ont été reportées. Il y aura forcément énormément de personnes qui seront les victimes co-latérales de cette crise.  Voyez ce qui se passe avec l’Aide médicale d’État. Une martingale qui revient à chaque projet de loi de finance, chaque année… Les personnes primo-arrivantes auront moins accès aux soins. C’est totalement contre-productif, les personnes qui arrivent ont souvent des soucis de santé, ou en contractent sur notre territoire du fait de leurs mauvaises conditions de vie et d’un parcours d’accès au droit chaotique. Le gouvernement ne comprend toujours pas qu’en ne touchant pas les primo-arrivants, c’est toute la population qui risque d’en pâtir. Ce qui touche les uns, touche fatalement les autres au final. »

Nicolas Souveton : « C’est un argument idéologique, quand on voit le volume que représente l’AME sur le budget de la sécurité sociale. Et ça finit par couter beaucoup plus cher, car ces personnes viendront grossir les files d’attentes des services d’urgence. Ce qui m’étonne sur ce sujet, c’est que ce sont les associations s’expriment beaucoup sur le sujet, mais on entend hélas assez peu les représentants du corps médical… »

 

— Lutter contre le VIH aujourd’hui, en période de confinement, c’est compliqué ?

Aurélien Beaucamp : « Notre activité, c’est le collectif, c’est aller à la rencontre des personnes et les dépister… Forcément, notre mission de dépistage, de traitement, de partenariat avec les spécialistes de santé… est plus compliquée aujourd’hui. On ne peut pas se prévaloir d’être une association de santé et ne pas respecter les gestes de prévention face à la Covid-19. Mais ce qui est intéressant, c’est de voir à quelle vitesse les salariés et les militants ont su se saisir des nouveaux outils pour travailler, pour réduire les risques et favoriser le collectif. Quoi qu’il en soit, on ne touche plus les personnes de la même manière, on le voit bien par la baisse des prescriptions Prep (traitement préventif pour les personnes très exposées au Vih), de même, les personnes viennent moins se faire dépister. Ce qui est plus inquiétant aujourd’hui, c’est la santé mentale générale de la population, du fait de la conjugaison de plusieurs vulnérabilités rajoutées aux questions d’isolement, d’addictions… 2021 risque d’être très difficile, sachant qu’à tout cela se rajoutera les difficultés économiques qui sont encore à venir… »

 

— Comment le monde mutualiste et notamment les centres de santé peuvent-ils être acteurs de la lutte contre le Vih ?

Nicolas Souveton : « La première des choses, est de veiller à la sensibilisation et la vigilance des professionnels de santé. Nous devons former les professionnels établissements de soins, mais aussi de nos agences, pour qu’ils soient exemplaires ; nous devons savoir afficher nos valeurs sur ce domaine-là. Et puis, nous avons un vrai travail pour aller vers les populations. Nous avons le devoir de tout mettre en place pour accueillir au mieux les populations concernées; Pourquoi ne pas mettre en place des campagnes de dépistages rapides dans nos lieux mutualistes notamment avec le milieu associatif ? Nous devons être des lieux ouverts à plus de prévention, de réduction des risques et d’éducation à la santé… Travailler avec Aides sur cette question serait un beau projet. »

 

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