Quinze milliards payés par les Français en dépassements d’honoraires ; une personne sur deux non remboursée pour des soins courants… Votre campagne pour faire de la santé « un droit pour tous » peut-elle faire changer cet état de fait ?

Jean-Paul Benoît : La santé arrive toujours en tête des préoccupations des Français. Ce qui est moins habituel, c’est l’ampleur que ce sujet a prise dans la campagne présidentielle. Nous nous saisissons de ce contexte pour porter nos solutions aux inégalités grandissantes d’accès aux soins et à l’affaiblissement de la protection sociale. En théorie et depuis la création de la CMU, l’universalité de l’accès à la protection sociale est réalisée. Et la Sécurité sociale maintient une couverture élevée pour les affections de longue durée. Mais cela touche 15 % de la ­population. Dans le même temps, les taux théoriques de couverture des soins courants sont passés de 80 % à 60 %. Si bien que quatre Français sur dix renoncent à des soins, pour des raisons financières pour moitié, à cause de délais d’attente trop longs pour une autre moitié. L’existence de déserts médicaux n’explique pas tout. Nice ne manque pas de médecins. Mais quasiment aucun ne propose des tarifs en secteur 1 !

 

Les candidats n’ont-ils pas répondu à vos inquiétudes en proposant de rembourser à 100 % les soins du quotidien ?

Jean-Paul Benoît : Le 100 % ne veut pas dire grand-chose. Pour l’optique, ça reviendrait à rembourser les verres à hauteur de 7 euros et les montures, à 12 euros. Parler de taux de prise en charge n’est qu’un effet d’annonce et n’a aucun sens si on ne dit pas 100 % de quoi. Nous sommes arrivés au bout du défaut de tarifs opposables. Nos complémentaires ne peuvent plus aller plus loin.

 

Dans ce contexte, à quoi servent les mutuelles ?

Jean-Paul Benoît : Les mutuelles permettent l’accès aux soins. Sans complémentaire, le taux de renoncement aux soins est multiplié par deux. Comme la Sécurité sociale n’assure pas la solidarité maximale, soit le remboursement à 100 % sur la base de tarifs opposables, nous prenons notre part de la solidarité. Et comme les mutuelles sont dominantes sur le marché des complémentaires, elles limitent les phénomènes de sélection qui existent chez les assureurs privés lucratifs. Nous continuons de jouer notre rôle de complément à la Sécurité sociale défini depuis 1945.

 

Les mutuelles ne souffrent-elles pas de s’être banalisées ?

Jean-Paul Benoît : Nous avons une longue histoire d’accès aux soins et à la prévention pour tous. La première pharmacie mutualiste a été créée en 1860. Nos premiers dispensaires datent des années 1920. Si la Sécurité sociale prenait à sa charge la part mutuelle, tous les problèmes ne seraient pas résolus. Nos centres de santé sont souvent le dernier lieu de soins accessible avant le désert médical. Les collectivités locales se tournent vers nous pour en ouvrir, car nous sommes avec elles les derniers à les financer, avec des coûts de financement maîtrisés. Le privé lucratif n’y va pas. Et nous innovons. Nous avons inventé le tiers payant que la Sécurité sociale a repris. Dans le domaine des soins émergents, nous prenons en charge l’implantologie dentaire. Pas la Sécurité sociale. Et nous pouvons offrir une solution à tous ces jeunes médecins généralistes qui ne veulent plus s’installer en libéral, seuls et isolés. Nos maisons de santé disposent de plateaux techniques importants, proposent un travail collectif et des tarifs de secteur 1 aux patients. Nous revendiquons aussi un lien plus étroit entre les centres de santé, premier maillon d’accès aux soins sur un territoire, et les hôpitaux. Nous revendiquons notre dimension de mouvement social, qui ne porte pas de vision catégorielle et s’intéresse à l’intérêt général. Nous avons peut-être oublié de communiquer sur tous nos rôles. Mais la mobilisation du mouvement mutualiste a permis de faire reculer les programmes de privatisation de la santé portés dans la campagne. Il faudrait que cette mobilisation progressiste se poursuive après les élections en faveur de la qualité des soins.

 

Le système de santé a-t-il les moyens de vos propositions ?

Jean-Paul Benoît : Les prix des médicaments innovants font que nous sommes au bout de la politique de maîtrise des dépenses. Accumuler les dettes n’est pas non plus raisonnable. Historiquement, les financements de la Sécurité sociale sont assis sur la richesse créée, via les cotisations des salariés et des employeurs. Mais la financiarisation de l’économie, la numérisation et la robotisation, l’évitement de l’impôt et des cotisations sociales ont changé la donne. Les cotisations pèsent de plus en plus sur les épaules des salariés : la part des financements de la Sécurité sociale par les entreprises est passée de 67 % à 44 % en trente ans. L’État ne compense qu’une partie de ces exonérations. Il manque 12 milliards à la Sécu. Et les entreprises du CAC 40 ne cotisent plus que sur 3 à 5 % de leur masse salariale, pendant que les PME payent ce qu’elles doivent. Pour en finir avec ces inégalités, nous proposons de s’attaquer aux évitements de cotisations en réduisant le taux de prélèvement pour rendre des marges de manœuvre aux PME. Les cotisations doivent concerner toute la production de richesse. Une assiette élargie s’appliquerait à 727 milliards d’euros supplémentaires aujourd’hui hors cotisations. Il s’agit de faire pour les entreprises ce que l’on a fait pour les ménages en prenant en compte tous leurs revenus.

 

Fiscaliser les financements de la Sécurité sociale ne serait-il pas plus simple ?

Jean-Paul Benoît : En aucun cas. Nous sommes attachés au principe de cotisation qui permet de sanctuariser le budget de la Sécurité sociale et le déconnecter de celui de l’État. On est bien sur un principe de redistribution des richesses et non sur celui d’étatisation. Toute proposition de fiscalisation rendrait aussi illisible le financement de la protection sociale qui deviendrait une variable d’ajustement du budget de l’État.

 

Et une TVA sociale, dont une partie irait à la protection sociale ?

Jean-Paul Benoît : C’est une escroquerie. Cela reviendrait à finir de faire porter le financement de la protection sociale uniquement sur les ménages.

 

Entretien réalisé par Stéphane Guérard pour l’Humanité. Retrouvez cet article sur le site de l’Humanité.