Interview réalisée par François Fillon – Viva Magazine, le 7 décembre 2015.
Article à retrouver sur le blog de Viva dédié à la protection sociale.
Jean-Paul Benoit, Président de la Fédération des mutuelles de France, n’a pas de mots assez durs pour décrire la segmentation qui est en marche dans le système de protection sociale de notre pays. Ses solutions.
2015 a été une année chargée dans le domaine des complémentaires santé. Quel bilan en retirez vous ?
« Plusieurs mesures ayant un fort impact sur l’accès à la protection sociale solidaire se sont succédées au cours de l’année. A l’encontre des intentions annoncées elles ne résolvent pas les difficultés d’accès aux soins mais au contraire accroissent les inégalités.
Dès le début 2015, l’appel d’offre sur l’Aide à la complémentaire santé (Acs) a mis fin au libre choix des bénéficiaires, supprimé les possibilités de réponses de proximité et d’accompagnement personnalisé dont ils ont besoin.
La justification de ce dispositif était que les deux tiers des bénéficiaires potentiels n’utilisaient pas leur droit. Je suis convaincu qu’au lieu de résoudre le problème on l’a aggravé. J’attends avec impatience les prochains chiffres du fonds CMU qui le démontreront.
La fin de l’année est marquée par la mise en œuvre concrète des dispositions de l’ANI signé en 2013, imposant la généralisation des complémentaires obligatoires dans les entreprises privées. Il parachève le rattachement de la protection sociale complémentaire au contrat de tarvail.
C’est de loin la mesure la plus délétère de ces dernières années. Elle rompt la solidarité entre les actifs et tout le reste de la population, retraités, jeunes, chômeurs, précaires… »
Dans cette segmentation, il y avait aussi l’aide à la complémentaire spécifique pour les retraités.
« La tentative de résoudre une petite partie de l‘aggravation des inégalités générées par l’ANI en instituant un dispositif propre aux retraités est dérisoire. On ne diminue pas les inégalités en segmentant encore plus les populations et prétendre supprimer la liberté de choix de la complémentaire en échange d’une réduction de 1% de son cout est ridicule ; 1% quand le coût de la complémentaire santé pour une personne qui part en retraite est multiplié par 3,5 par rapport à la période où elle était en activité.
C’est une mesure mort-née… »
La mise en place du tiers payant obligatoire chez les médecins, c’est par contre une bonne nouvelle…
« C’est une idée défendue par la Mutualité. Et il était temps. Les pays voisins l’ont mise en place, depuis des années : il n’y avait guère qu’en France qu’on traînait les pieds.
Je partage les propos d’Etienne Caniard, président de la Mutualité Française pour qui le tiers payant est suffisamment une bonne mesure pour qu’il n’y ait pas besoin de la rendre obligatoire…
Le tiers payant sera une simplification administrative et une sécurité de paiement pour les médecins. On a assisté à un affrontement inutile entre la volonté d’obligation et des syndicats de médecins qui mènent une bataille d’un autre temps. »
Quelle aurait été la solution pour éviter cette perte d’énergie ?
« Il faut autoriser le tiers payant et mettre en place les simplifications techniques et administratives annoncées. Dès lors il s’imposera naturellement comme un progrès incontournable pour les patients comme pour les professionnels… Y a t’il eu besoin d’une obligation pour que se généralise le tiers payant dans les pharmacies ? »
Et que proposez vous pour éviter la segmentation que vous dénoncez dans le domaine de la couverture santé ?
« Nous avons actuellement un système ubuesque où les coûts sont considérables tout en privant une part importante de la population de mutuelle. Nous demandons une remise à plat complète de l’ensemble des aides.
Avec le déploiement de l’ANI, le cout total des dispositifs empilés sera de 8 à 9 milliards de fonds publics et sociaux, alors que quelque 3 à 4 millions de Français seront toujours sans couverture.
Un dispositif unique et universel d’aide personnalisée, prenant en compte tous les assurés sociaux, couterait moins de 4 milliards. Sans dépenser un euro de plus on peut le financer et supprimer la totalité des taxes sur la complémentaire santé qui représentent également 4 milliards. Cette deuxième mesure permettrait une baisse des cotisations des mutuelles de 15% immédiatement, pour tous.
Le coût de ces deux mesures ne dépasse pas le budget total consacré aux dispositifs actuels inefficaces et inégalitaires. La mise en place d’un système universel ne segmentant plus les populations ne relève donc que de la volonté politique. »