La construction de l’Europe « sociale », pourtant évoquée à plusieurs reprises depuis la signature du traité de Rome en 1957, a été écartée au profit d’une construction économique faisant la part belle aux échanges financiers et commerciaux.

L’Europe « libérale » a jusqu’ici été incapable de proposer une harmonisation des dispositifs sociaux. La concurrence a été élevée au rang de principe, si bien que le dumping social et fiscal s’est installé entre les États-membres. Tandis que des paradis fiscaux organisent au sein même de l’UE l’exil fiscal des grandes fortunes, les modèles sociaux les plus protecteurs et les plus solidaires sont remis en question. Au final, l’Europe du marché et de la concurrence a divisé les peuples et porté un coup violent au rêve européen.

L’incapacité de l’Union européenne à penser la solidarité a été particulièrement mise en lumière par la crise des réfugiés. Incapables de s’entendre sur une réponse solidaire à l’arrivée de populations fuyant la misère et la guerre, les pays européens ont finalement opté pour une politique de quotas que personne ne respecte à l’exception de l’Allemagne et de la Norvège. Le refus de recevoir l’Aquarius dans les ports français et italiens témoigne également d’une Europe engluée dans ses contradictions, où les capitaux voyagent librement, mais pas les hommes.

Le fonctionnement démocratique des institutions européennes est également montré du doigt. Difficile à appréhender, éloignée du quotidien des habitants, la « bureaucratie européenne » joue aussi un rôle dans le rejet de l’Europe. L’enquête du Consortium international des journalistes d’investigation sur les Implant files a par exemple mis évidence le poids exorbitant des lobbies et la faiblesse des agences européennes de régulation. L’idée derrière, c’est que l’Europe est davantage une machine au service des grands groupes qu’une entité de mutualisation et de partage au service de l’intérêt général. Rappelons que plus de 11 000 organisations sont enregistrées comme lobbyistes auprès des institutions européennes, pour seulement 751 eurodéputés.

Depuis l’adoption du socle européen des droits sociaux en novembre 2017, l’Europe est entrée dans une phase plus « sociale ». Bien que le poids symbolique de ce texte soit important, il ne devrait avoir qu’une portée limitée puisqu’il n’est que peu contraignant pour les États-membres.

L’Europe ne se réconciliera avec ses citoyens qu’en apportant la preuve qu’elle est capable d’établir une solidarité entre Européens, de donner une voix plus importantes aux hommes et aux femmes face aux lobbies, et de faire contribuer équitablement les grandes entreprises et les grandes fortunes.