CRISE DE LA SECURITE SOCIALE OU CRISE DE LA DEMOCRATIE ?

Vivre en sécurité sociale, une construction politique

A l’occasion des 70 ans, il est important de rappeler que la Sécurité sociale est un projet sociétal solidaire fondé sur l’idée que l’égalité de droit est une illusion. L’Etat doit prendre toutes ses responsabilités pour créer réellement les conditions de l’égalité et construire juridiquement l’interdépendance humaine, au fondement de la solidarité. A la fin du 19e / début du 20e, une série de lois sur l’éducation, la redistribution et l’accès aux soins visaient à faire des Français des individus libres pouvant assumer leur rôle de citoyen. La « question sociale » devint ainsi une question politique.

Prolonger en temps de paix l’élan de solidarité qui était né en temps de guerre 

Née d’un consensus entre les différentes familles politiques de l’après-guerre, la Sécurité sociale était un réel projet d’organisation de la société permettant de lever l’incertitude du lendemain (grâce à la redistribution, l’émancipation sanitaire).

Sans présenter une vision idéalisée, Colette Bec a mis en lumière les « ambiguïtés fondatrices » du modèle de 1945 qui, aujourd’hui encore, amènent des interrogations.

  • A la base, la Sécurité sociale entendait assurer aux travailleurs les moyens de leur existence. Ce n’était pas l’universalité, l’affiliation était basée sur le salariat.
  • Le débat autour d’une caisse unique et la création des régimes spéciaux est toujours prégnante.
La crise de la Sécurité sociale, symbole de notre crise démocratique

Le tournant de la rigueur marquant la fin des Trente Glorieuses va changer l’angle sous lequel la Sécurité sociale est abordée. D’un projet sociétal, elle va être analysée sous l’aspect gestionnaire. Désormais, seul son équilibre compte, on perd de vue ses principes fondateurs que sont l’émancipation individuelle et la cohésion sociale.

La gestion comptable a tiré vers le bas les prestations de l’Assurance maladie. En témoigne, l’accès aux soins qui, aujourd’hui, requiert deux, voire trois niveaux : le régime obligatoire, le régime complémentaire voire les surcomplémentaires. « Le risque c’est que la Sécu qui est le pilier du système en devienne le plancher » Thierry Beaudet.

Menace sur l’universalisme ?

Le désengagement de la Sécurité sociale, qui ne rembourse plus qu’un euro sur deux pour les soins de ville hors ALD, est lié à un problème de financement. A terme, le risque est d’en arriver à des solutions d’assurances privées éloignées de la solidarité nationale. En premier lieu, se profile une segmentation des populations, on ne recevra plus en fonction de ses besoins mais en fonction de ses moyens. Les différentes mesures récemment déployées par le gouvernement : ANI, appel d’offres ACS, complémentaire pour les plus de 65 ans sont tant de ruptures dans la solidarité.

La santé, qui est un bien fondamental, est peu à peu transformée en bien marchand chiffrable et « découpable ». Pour les assureurs, la santé est un produit d’appel permettant de capter de nouveaux marchés. Ils peuvent répondre aux appels d’offres en écrasant les prix car leurs marges sont regonflées grâce à d’autres produits. Les mutualistes mettent en garde contre le fait que l’assurance s’immisce dans le couple Sécu/mutuelles.

 

COMMENT FAIRE VIVRE NOTRE MODELE DE PROTECTION SOCIALE ?

Le rapprochement mutualité / organisations syndicales

Lors du colloque, plusieurs voix se sont élevées pour demander plus de cohésion entre la mutualité et les OS qui lui sont historiquement liées. Les représentants de l’UGICT et de la FSU présents à la table-ronde ont plaidé en ce sens. Mutualistes et syndicalistes partagent des valeurs communes de solidarité, de réciprocité et de démocratie. Les divergences autour de l’ANI sont venues rappeler le besoin de travailler ensemble à des orientations communes. Les OS ont avoué manquer, faute d’expertise sur la protection sociale, de matière pour se positionner. Le lien avec les mutualistes est évident pour palier cette faiblesse et a été reconnu par les intervenants.

Le couplage Sécurité sociale / mutuelle

L’histoire de la mutualité et de la Sécurité sociale est une co-construction. Cette vision a été fermement défendue si bien par les militants de la MGEN qui, dès le début, avaient souhaité participer au financement de la caisse unique et gèrent désormais le régime obligatoire que par les mutuelles de la FNMT qui ont géré des sections locales du régime général jusque dans les années 70.

Pour Thierry Beaudet, être militant de la Sécurité sociale c’est « penser en terme de couplage mutualité / Sécu » puisque l’on est passé d’un schéma où l’Assurance maladie compense les conséquences de la maladie à un modèle bien plus complexe d’accès aux soins où régime obligatoire et régime complémentaire s’articulent.

Une force commune pour participer à la régulation du système de soins

L’enjeu pour les mutualistes, aujourd’hui, est de participer à la régulation du système de soins au côté de l’Assurance maladie en revenant notamment à de vrais tarifs opposables sur tous les soins. L’histoire de la Sécu est celle d’une conquête sociale fermement appuyée par les mutualistes (à titre d’exemple : le conventionnement des médecins à l’Assurance maladie).

 

Aujourd’hui, quelles possibilités :
  • fixer des tarifs réellement opposables qui seuls sont garants d’un « remboursement à juste niveau » si bien par le régime obligatoire que par le régime complémentaire et se traduisent par la diminution du reste à charge. En effet, Jean-Paul Benoit met en avant le hiatus de notre système où le financement est « socialisé », en grande partie, mais l’offre de soins libérale est totalement dérégulée. Aux yeux des mutualistes, le combat pour le tiers-payant se fait dans cette optique régulatrice.
  • Les mutualistes ont un rôle à jouer aux côtés du régime obligatoire sur la prévention (notamment du fait de leur implantation en milieu professionnel permettant un ciblage sur les pratiques professionnelles) « passage de l’assurance maladie à l’assurance santé »
  • Les SSAM participent à la régulation en montrant qu’il est possible d’avoir une offre de qualité, coordonnée à tarifs opposables (notamment par l’influence sur les tarifs des praticiens libéraux à proximité)

LE FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE

Tous les intervenants s’accordent pour dénoncer l’archaïsme de l’assiette sur laquelle est assise le financement de la protection sociale. Celle-ci est basée essentiellement sur les revenus du travail, alors que les revenus du capital ne contribuent que très peu. En outre, les entreprises faisant le plus de profits sont celles qui cotisent le moins par le jeu d’exonérations fiscales.

Outre cette indispensable correction, des interventions sont venues rappeler le coût de certains médicaments au service rendu faible, la non-pertinence de certains actes (pour un montant de 55 milliards d’euros), le poids des exonérations fiscales et sociales ainsi que le coût de la fraude aux cotisations.

NB : L’accroissement des ressources de la Sécurité sociale, ne peut financer les incohérences du système de soins. La régulation de l’offre de soins doit être réalisée en amont.

 

 

PISTES DE REFLEXION POUR FAIRE DE LA MUTUALITE UN PARTENAIRE INCONTOURNABLE DE L’AVENIR DE LA SECURITE SOCIALE

Les mutuelles portent un vrai projet de société à la différence des autres acteurs de complémentaire.

  • Redonner du sens aux valeurs de solidarité intergénérationnelle en repositionnant la Sécu comme un outil de démocratie et de vivre ensemble.
  • Ouvrir plus largement la démocratie sanitaire: lanceur d’alerte, mécanisme de co-construction des politiques publiques, débat public. Malheureusement, la représentation citoyenne est souvent cantonnée à un siège. Dans le Conseil d’administration de la CNAM, il n’y a plus de décision débattue, les associations d’usagers ne peuvent plus faire entendre leur parole.
  • Les mutuelles ont des champs entiers de progression. Arriver à des taux de remboursements corrects sur tous les champs (audioprothèse, implantologie, optique), « nous permettrait de faire de notre métier correctement car il n’y a pas de bons remboursements sans taux opposables » Jean-Paul Benoit
  • Se saisir des nouveaux besoins des populations (vieillissement)
  • Développer des offres globales élargies (logement, prévention…)