Chers amis, Chers camarades,

 

Pour nous et pour tous les progressistes, le résultat du premier tour de l’élection est une incontestable déception. Qu’aucun candidat de gauche ne soit présent et que l’extrême droite soit qualifiée constitue une très mauvaise nouvelle pour notre pays et pour tous ceux qui subissent les inégalités et les discriminations.

 

Le programme libéral de Macron ne correspond en rien à nos aspirations d’une société plus juste, plus solidaire respectant chacun de ses membres et garantissant à tous une protection sociale digne de notre temps. Mais une chose est certaine, le 8 mai il y aura un président de la République et ce sera Macron ou Le Pen.

 

Or, le risque de voir arriver au pouvoir l’extrême droite est un problème d’une toute autre nature qu’une défaite électorale. Il en va de l’avenir de notre modèle de société, de la démocratie et de la République. Si les fascistes arrivent parfois au pouvoir par les urnes, ils n’en repartent jamais de la même façon. C’est pourquoi il est essentiel que la candidate du Front national soit battue le 7 mai et que son score soit le moins haut possible.

 

En novembre 1932, les nazis font 33 % aux élections législatives. Hitler accède au pouvoir en janvier 1933 alors qu’il est minoritaire au parlement et dans le gouvernement. En février, il fait incendier le Reichstag et, dans la foulée de cet «attentat», il supprime la liberté de la presse, suspend les libertés individuelles et entame la persécution de ses opposants politiques et en premier lieu les communistes. Il n’y aura plus d’élection libre et nous connaissons tous la suite.

 

L’époque n’est plus la même, nous ne sommes pas en Allemagne, c’est vrai, mais la comparaison n’est pas forcément en notre faveur. La Ve République donne des pouvoirs exorbitants au président de la République. Ces pouvoirs dans les mains d’une ennemie de la liberté peuvent conduire à une dictature plus rapidement que nous ne pouvons l’imaginer.

 

Beaucoup comptent sur les législatives pour un 3e tour permettant de mettre en place un contre-pouvoir au président élu. C’est peut être possible dans le cas de l’élection de Macron, pas si c’est Le Pen. Elle a d’ores et déjà annoncé qu’elle modifierait la Constitution par référendum. Dans le processus référendaire, le Parlement n’est même pas consulté. La nouvelle Constitution votée s’applique immédiatement sans que rien ni personne ne puisse s’y opposer. Imaginez quel régime pourrait instaurer le Front national pour peu que de nouveaux attentats meurtriers aient encore aggravé le climat de peur dans le pays.

 

Sans même attendre le résultat d’un référendum, le contexte des attentats peut servir à justifier le recours à l’article 16 de la Constitution actuelle qui donne les pleins pouvoirs au président de la République, le Parlement étant suspendu ou dissous. Ce risque est inacceptable.

 

Nous sommes, militants des Mutuelles de France, héritiers des mutuelles ouvrières et des mutuelles de travailleurs. Nos prédécesseurs, les militants qui les ont fondées, étaient issus de la Résistance. Ils ont souffert dans leur chair pour que nous retrouvions notre liberté. Des milliers de leurs sœurs et frères d’armes ont payé cet engagement de leur vie. Avons-nous le droit de remettre en cause cet héritage et ce quelle que soit notre colère contre les dirigeants qui nous ont amenés à cette situation ?

 

Si l’extrême droite arrive au pouvoir, ce ne sont pas les responsables de la situation actuelle, les Sarkozy, Hollande ou Valls qui seront sanctionnés. Ni les Gattaz et consorts, ceux-là s’accommodent le plus souvent des dictatures quand ils n’en tirent pas profit. Ceux qui subiront de plein fouet la violence du pouvoir fascisant ce sont les plus précaires et « tous ceux qui ne correspondent pas à la norme, telle que définie par les frontistes ou leurs satellites nazillons. »1. Les opposants et les progressistes, tous les militants des droits de l’Homme seront aussi attaqués, comme c’est déjà le cas dans les communes qu’ils dirigent.

 

Contrairement à 2002, la victoire de Le Pen n’est plus du tout impossible. Si les électeurs de gauche s’abstiennent majoritairement, ce sont les électeurs de la droite dite « républicaine » qui décideront du résultat de la présidentielle. Dans ce cas, le résultat sera serré et nul ne peut prédire qui sera élu. Ni l’abstention, ni le vote blanc ne garantissent que nous ne nous retrouvions pas le 8 mai, le jour de la commémoration de la victoire sur les nazis, avec Le Pen à l’Élysée. Êtes-vous prêts à prendre un tel risque ? En ce qui me concerne la réponse est non.

 

Alors mes amis, mes camarades, chacun aura le 7 mai à se prononcer en conscience. Personne n’a à dicter le choix de chacun, mais je voulais, tant qu’il en est encore temps, vous faire part de ces réflexions. Quel que soit le résultat des élections, nous continuerons bien sûr à lutter pour plus de justice, d’égalité et de solidarité, mais ce résultat peut singulièrement changer les conditions de ce combat et le niveau de violence sociale, ou de violence tout court, auquel nous serons confrontés.

 

Permettez-moi en conclusion de citer Aragon :

 

« Quand les blés sont sous la grêle

Fou qui fait le délicat

Fou qui songe à ses querelles

Au cœur du commun combat. »2

 

Mes amis, mes camarades, les blés sont sous la grêle !

 

Jean-Paul Benoit

Président de la Fédération des mutuelles de France

L’Argentière, le 30 avril 2017.

 


 

 

1- «(…) Macron est tout ce que nous combattons (…) depuis tant d’années. Et pourtant nous n’aurons aucune hésitation parce que le débat se situe sur un tout autre plan. On ne joue pas avec le risque fasciste. On ne prend pas à la légère les menaces sur les libertés publiques, les interdits culturels, la régression des mœurs. On ne joue pas avec l’intégrité physique de tous ceux qui ne correspondent pas à la « norme » telle que définie par les frontistes, ou leurs satellites nazillons. On ne court pas le risque de la xénophobie et de la violence de rue contre les immigrés. (…) » Denis Sieffert, Directeur de Politis, 27 avril 2017.

 

2- La rose et le réséda.