Morts au travail : la France triste championne d’Europe
Le récent décès de Jérôme Tamietti, un employé municipal de 48 ans dans le Tarn-et-Garonne, le 18 avril 2024, est le 93e mort au travail enregistré cette année. Aujourd’hui, 29 avril (date de la publication de cet article), un agriculteur du Cantal est le 101e mort au travail de l’année. Malheureusement, leur sort est symptomatique d’une tendance alarmante.
En 2023, la France a été couronnée tristement championne d’Europe, avec 3,5 décès pour 100 000 travailleurs actifs en milieu professionnel. Avec 3 425 accidents de travail non mortels pour 100 000 personnes employées, la France est, là-aussi, bien au-dessus de la moyenne européenne de 1 603. La tendance s’est aggravée au cours des quinze dernières années.
Ce triste record n’est pas un hasard…
Notre héritage de mutuelle ouvrière et nos combats notamment au côté de l’ANDEVA résonne pleinement avec la journée de la santé et de la sécurité au travail. La question des maladies professionnelles, des accidents de travail est loin d’être résolue. Si les métiers les plus dangereux ont disparu en France, les problématiques physiques, liées au travail répétitif, par exemple, demeurent. Les pratiques managériales violentes et dégradantes ainsi que les cadences de production (y compris intellectuelles) qui imposent une course effrénée mettent aussi en danger la santé et la sécurité des travailleuses et des travailleurs. Le développement du télétravail et le changement climatique font naitre de nouveaux risques physiques et psycho-sociaux.
… c’est le résultat de décisions politiques
Ces drames ne relèvent pas de la fatalité et les décisions prises depuis 2017 aggravent la situation. En 2017, les « ordonnances Macron » ont supprimé les Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dont le but était pourtant de formaliser et d’instruire les questions de santé et de sécurité au travail. Cette décision prive les travailleurs d’une voix institutionnelle et s’est traduit concrètement par une diminution de moyens dédiés à la protection et à la prévention des risques professionnels au sein de l’entreprise. La réforme du Compte Personnel de Prévention (C2P), également mise en place en 2017, propose aux travailleurs « exposés » à certains facteurs risques au-delà d’un certain seuil d’accumuler des points afin de bénéficier de certains droits (partir en formation, bénéficier d’un temps partiel, valider des trimestres pour la retraite, entamer un projet de reconversion professionnelle). Ce dispositif est opaque concernant les critères précis d’attribution, et s’appuie sur une définition minimale de l’exposition aux dangers. De plus, la formation ainsi obtenue entrainera laisse un reste à charge pour les travailleurs·euses pouvant atteindre rapidement des milliers d’euro. Ces mesures sont loin de s’attaquer aux causes profondes de la santé au travail.
La loi relative à la santé au travail adoptée en 2021 a, malgré quelques timides avancées exacerbé la tendance à moins protéger les travailleurs·euses, notamment en assouplissant les normes de sécurité diminuant ainsi la responsabilité des employeurs. Par exemple, les amendes pour manquement à la fourniture d’équipements de protection individuelle ou pour négligence dans la mise en place de mesures de sécurité sont désormais plafonnées et souvent moins coûteuses que l’achat d’équipements. Cette loi promeut surtout une vision perverse de la prévention sans articulation entre l’individuel et le collectif. Attachés à chaque salarié, les dispositifs qui sont inscrits individualisent la prévention et contribuent à transférer la responsabilité d’une éventuelle atteinte à la santé sur les salariés eux-mêmes, ceux-ci étant supposés avoir reçu la formation appropriée pour l’éviter.
Enfin, la question essentielle des moyens n’a pas été abordée, contribuant par exemple à l’assèchement du corps des Médecins inspecteurs régionaux du travail (MIRT). Avec seulement 21 médecins pour 58 postes ouverts, aujourd’hui, ces professionnels sont chargés du suivi des services de prévention et de santé au travail au sein des DREETS (Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités). Ils sont également responsables du contrôle et du respect de la réglementation en matière de santé au travail. Cependant, on constate aujourd’hui des régions complètement dépourvues de MIRT, ce qui affaiblit considérablement la capacité de contrôle et de surveillance des entreprises, compromettant ainsi la sécurité des travailleurs.
La prévention des risques professionnels demeure le parent pauvre des politiques de santé publique.
Faire également de la santé au travail un levier de santé publique
Au-delà des enjeux directs, il est également nécessaire de considérer la santé au travail comme un levier de santé publique. En effet, elle représente une formidable occasion de sensibiliser un large public sur des enjeux de santé émergents. À travers une diversité d’initiatives de formation, elle pourrait jouer un rôle essentiel dans une approche « une seule santé » autour de l’alimentation, du bien-être mental et physique et d’autres aspects liés au milieu professionnel.
En mettant en œuvre une politique de sensibilisation et d’éducation populaire ambitieuse, il est possible d’offrir des ressources pertinentes pour promouvoir des modes de vie sains et durables sur le lieu de travail. Cette approche collaborative pourrait renforcer la conscience collective sur l’importance de la santé au travail et favoriser des comportements préventifs, réduisant ainsi les risques pour la santé des travailleurs.